7 nov. 2014

'Dernier combat'

       

 Barrage de Sivens : conflits d'intérêt?



          Ca fait longtemps que je n'avais pas pris le temps de rédiger un article relatif à un sujet d'actualité et de société. Un article comme je les aime, un vrai. Un de ces posts où je m'installe confortablement  adossée à mon chauffage, un chocolat chaud à ma droite, un carnet rempli d'idées à ma gauche et une playlist spotify défilant dans mes oreilles. Faute de temps, j’enchaîne à contre coeur les articles construit à la va-vite (playlists, photos, vidage de tête...). Mais ce n'est pas pour ça que j'ai commencé à bloguer, du moins pas totalement. Alors je profite de mon dernier vendredi soir "libre" (ie sans révision) avant la fin du semestre pour vous parler d'un événement récent qui m'a marquée, touchée et fortement attristée.




          Je reviens en effet aujourd'hui pour parler écologie. Bon, écologie certes, mais également (et surtout) de barrage, d'aéroport, de mouvements sociaux, de casseurs, de répression, de mort. Attendez. Quoi? Mais... Pour tout vous dire, dès la première phrase introductive de mon sujet, j'en viens déjà étonnamment à me demander comment j'en suis venue à allier écologie et mort dans la même phrase. Comment est-ce possible que ces deux termes soient associés ? Comment un passionné qui se bat pour préserver la nature et l'environnement peut-il mourir pour ses convictions a priori si inoffensive et ridiculement banale? Vous l'avez compris maintenant, je pense, le sujet principal de cet article concerne l'affaire du barrage de Sivens, ayant tristement conduit à la mort d'un jeune opposant de 21 ans, Remi Fraisse.

Crédit: France 3 Midi-Pyrénnées

            Remettons les choses dans l'ordre afin de comprendre tous les aspects de ce projet, pourtant local mais dont la tournure des événements et le dénouement semble à présent être un enjeu à la fois national et politique.

Où?
          Le projet de « retenue SIVENS » se situe dans la région Midi-Pyrennées, et spécifiquement  dans la commune de Lisle-sur-Tarn au Nord-Ouest du département du Tarn. Ce projet a lieu au coeur d'une forêt située sur la partie sauvage et préservée de la rivière, le Tescou (qui est un affluent du Tarn dans le bassin de la Garonne).


Pourquoi construire un barrage?
         
          L'objectif soutenu par les pro-barrage est en tout premier lieu un objectif d'intérêt général puisque, en gros, 30 % du volume de la retenue serait un soutient débit d’étiage pour la dilution des pollutions. Les 70 % restant seraient destinés à l’irrigation de 309 hectare de terres agricoles l'été. Ce barrage serait également une réserve pour les potentiels incendies l'été, ainsi qu'une aide majeure pour le règlement des crues et inondations.
--> Ce projet serait donc vitale pour l'agriculture intensive et l'adaptation aux catastrophes naturelles.


Comment ?

          Les élus locaux ont voté en faveur de cet aménagement et la préfète du Tarn a donné son accord. Par ailleurs, l'Etat a permis à ce projet de barrage de bénéficier de fonds structurels européens et d'importantes subventions de la part de l'agence de l'eau Adour-Garonne. Le projet serait en réalité financé à 100 % par des fonds publics (8 400 000 €HT pour l’investissement). Les financieurs prévus sont le maître d'ouvrage ( à savoir le Conseil Général du Tarn pour 10%, le Conseil Général de Tarn-et-Garonne à hauteur de 10% également), l’Agence de l'Eau Adour-Garonne (50%) et l’Europe (30% via les fonds FEADER).
--> Ce projet a été accepté et voté et serait financé par les collectivités locales en majorité, et l'Union Européenne en minorité.


Pourquoi ne pas le construire ?

          Cela ne vous a pas échapper, la construction de ce barrage a fait et fait toujours l'objet de vives contestations.  Le barrage, une fois construit, ennoierait la zone humide du Testet, qui s'avère être la dernière zone humide importante du bassin versant du Tescou et qualifiée par la DREAL (Direction Régionale de l'Environnement, de l'Aménagement et du Logement) comme faisant « partie des zones humides majeures du département du point de vue de la biodiversité ». L'un des principaux arguments allant à l'encontre de ce projet est également un argument environnemental : en effet la destruction de 13 hectares de la zone humide mettrait en péril 94 espèces protégées. Les opposants au barrage évoquent également les conflits d'intérêts entre la compagnie d'aménagement des coteaux de Gascogne et le conseil général du Tarn, le coût du projet, le faible nombre d'agriculteurs bénéficiant du barrage (20 en réalité, et non 80 exploitants comme annoncé par le Conseil Général), ainsi qu'un plus faible besoin en eau à l'heure actuelle, comparé à ce que les études montraient en 2001.
          En outre, l'opposition au barrage est soutenue par des nombreux écologistes, la Confédération paysanne, le parti Europe Écologie Les Verts, le Parti de gauche et le Nouveau Parti anticapitaliste.
--> Pour des raisons de sauvegarde des animaux, de coût honéreux, d'inutilité et d'intérêt purement isolé (20 exploitations agricoles)

Quelles sont les actions contestataires antérieures ?

           Dès octobre 2013, l'occupation du site par les opposants est réalisée par le groupe "Tant qu'il y aura des bouilles" ("...il n'y aura pas de barrage"). Mais en février 2014, le préfet du Tarn autorise la capture des animaux protégés de la zone ainsi que le déboisement de la forêt, entraînant une expulsion des opposants occupant le site après une décision de justice demandée par le conseil général. En avril 2014, diverses actions, regroupant 400 personnes, sont menées par les opposants sous le terme de « printemps de Sivens » dont la « convergence des marches ». Durant le même mois, plusieurs décisions de justice, notamment de la Cour d'Appel de Toulouse et du Conseil d'État déboutent la demande des opposants. Enfin, en mai 2014, une autre expulsion d'opposants au barrage est réalisée.
          À la fin du mois d'août 2014, une nouvelle occupation de la zone a lieu, alors que les préparatifs de déboisement commencent. C'est alors que des affrontements entre les opposants et les forces de l'ordre ont lieu le 26 et 27 août. En marge de ces violents affrontements, des grèves de la faim sont initiées, mais en vain, puisque les travaux de déboisement commencent le 1er septembre 2014.
--> Les principales actions de contestations sont l'occupation du site, des actions en justice et des grêves de la faim


Comment être écologiste peut-il conduire à la mort ?

          J'ai bien peur que cette question ne reste sans réponse. Ou du moins sans réponse humainement recevable. Tout ce que je peux affirmer c'est que le week-end du 25 et 26 octobre 2014, plusieurs milliers de personnes (dont José Bové (député européen Europe Ecologie Les Verts et syndicaliste Confédération paysanne), Pascal Durand (député européen EELV) et Jean-Luc Mélenchon (député européen Parti de Gauche) se sont de nouveau rassemblés au Testet pour s’opposer à la construction du barrage. Le rassemblement devait se passer dans le calme et avait été autorisée par la préfecture. Cependant, des occupants du site incendient un générateur de projecteur resté sur le site pourtant évacué de toute trace de chantier, ce qui a provoqué le retour des forces de l'ordre et ravivé la colère d'une centaine d'anarchistes visiblement près à tout pour se battre contre l'autorité.
C'est ainsi que, par un tir de grenade offensive lancée par les forces de l'ordre, un jeune homme de 21 ans décède.

Avis ?
          Cette fin m'attriste, me choque et me révolte en même temps.  J'avoue être fortement mitigée au sujet de cette construction et de la façon dont cela a été géré. 
          Certes ce projet vieux de 20 ans est le fruit d'un processus démocratique puisqu'il a été étudié, voté et accepté par les élus locaux. De plus, les forces de l'ordre ont joué parfaitement leur rôle en se mettant en retrait au début de la manifestation (fin octobre) afin de ne pas attiser la haine des manifestants, ni de risquer d'apparaître comme des provocateurs. Ainsi sont-ils uniquement intervenus dès lors que la manifestation pacifiste s'est transformée en dégradation volontaire des lieux. Si les forces de l'ordre ne peuvent pas employer la force pour faire régner l'ordre, alors qui le peut ? A force de contester l'autorité, pire même, de ne pas la respecter et de la dénigrer, c'est le chaos pur et simple qui va s'installer en France. (n'est-ce pas déjà le cas? Hm.) Il faut bien mettre un terme aux débordements... il est seulement dommageable de voir que pour cela un recours aux armes, même considérées comme non dangereuses, est obligatoire. Enfin, de quel lieu les opposants se permettent-ils de contester une décision locale, sous prétexte qu'ils ne sont pas d'accord ? Ici est remis en cause la démocratie, son fonctionnement ainsi que le pouvoir coercitif d'une décision d'une collectivité territoriale.

          Mais d'un autre côté, cette histoire de barrage semble être bien plus qu'une histoire de réserve d'eau. Il semble en effet y avoir une sévère histoire de conflit d'intérêt de la part des élus locaux (tiens, que c'est étonnant en politique!). 

Conflits d'intérêts ?

          Ce sont les mêmes élus qui choisissent dans leurs collectivités locales de sacrifier ou alimenter tel cours d'eau et qui votent également ensuite les subventions nécessaires au sein de l'agence de l'eau. Par ailleurs, on remarque que la Compagnie générale des coteaux de Gascogne est une société d'économie mixte dans laquelle les représentants des conseils généraux sont majoritaires, et qui intervient dans la quasi-totalité des chantiers régionaux liés à la répartition de l'eau depuis une cinquantaine d'années. Ainsi il est facile de comprendre que la réussite économique de cette entreprise pèse sur les choix des élus qui en sont majoritaires. Vous voyez? Tout est lié. 

           Un autre exemple qui peut être avancé est celui de André Cabot qui est à la fois vice-président du département du Tarn, veillant sur les dossiers liés à l'eau, et siège en parallèle comme vice-président de la commission de l'agence Adour-Garonne, commission qui a eu à examiner la demande de 50 % de subventions pour ce barrage.

 --> Plusieurs autres personnalités ont de la même façon un pied dans le corps électoral local et le corps financier de cette construction.


Et l'aéroport de NDDL?

          Beaucoup ont assimilé ces manifestations et contestations à celles relatives à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes, près de Nantes (dans la région Pays de la Loire). Etant bretonne et habitant aux portes de cette région, plus exactement à moins d'1h de route du supposé site de l'aéroport, je ne peux qu'approuver cette affirmation.
          En effet, ce projet d’aéroport dans la campagne nantaise (alors qu'il y a déjà un aéroport à Nantes, et à Rennes), cela fait des générations que les habitants de l'Ouest en entendent parler ! Enfant, ma mère entendait déjà parler de ce projet qui devait se faire "bientôt". 40 ans plus tard, aucune pierre ni once de chantier n'a été décelé, alors même que le permis de construire est signé. Pourquoi? Certainement dû aux (très) forts mouvements de contestations et de mobilisations que ce projet engendre. 
          L'année dernière j'ai effectivement traversée en voiture timidement une partie de cette ZAD ("Zone A Défendre") [ site de la ZAD de NDDL, ça rigole pas! ] et j'ai donc pu être témoin des ravages des affrontements, ayant pourtant eu lieu l'année encore d'avant (2012 principalement). Voitures brûlées, terrains dévastés, pancartes et banderoles hérissées, barrières cassées, pneus entassés, routes dégradées... Tel ne fut pas ma stupeur à la vue de ces dégradations scandaleuses et de ces dégâts matériels et environnementaux. Un véritable champ de guerre, et je n'amplifie rien. 
Badge autocollant pour voiture
Enfin, les contestations continuent de battre leur plein puisque cet été, j'ai de nouveau pu être témoin d'une action contestataire des opposants à cet aéroport : un groupe isolé a mis feu, sur la 4x4 voie Rennes-Nantes, a une bonne dizaine de pneus usagers, bloquant ainsi les automobilistes (dont moi!) pendant une bonne heure et demi. De multiples manifestations continuent d'être organisées principalement à Nantes. Ces manifestations sont familiales, pacifistes, organisées et préparées, cependant, comme partout, il existe des casseurs anarchistes  qui ne connaissent rien à l'écologie mais qui prennent ces mouvements sociaux comme une occasion de se défouler, tant sur les forces de l'ordre que sur les infrastructures et commerces de la ville.






          BREF, je pense qu'il est grand temps que je m'arrête d'écrire et que je retourne à mes révisions de droit des contrats. Je terminerai simplement par préciser que je suis entièrement contre la construction d'un aéroport à Notre-Dame-des-Landes, puisqu'encore une fois, ce n'est pas l'intérêt général qui est le véritable objet de ce projet, mais bien des enjeux financiers, des alliances et des conflits d'intérêts bien caché du grand public. Sans compter l'impact désastreux que ce dernier aurait sur la faune et la flore ainsi que sur les populations alentours, et la pollution terriblement importante que cela engendrerait.
J'espère vous avoir un peu plus éclairé sur ces deux affaires similaires tant par leurs violentes contestations et violentes répressions que par leur caractère écologique.



PS: je doute que cet article intéresse beaucoup de monde, mais il me tenait à coeur. Voilà. Mes pensées se tournent vers Remi Fraisse et ses proches.


Sur ce, passez un excellent week-end, et n'oubliez pas de sourire !


(Sources: France 3 Midi-Pyrénnées, LeMondeCollectif TestetYonne Lautre)


Minute Titre: Manau est un groupe de rap, composé de Martial Tricoche et Cédric Soubiron et formé en 1998. D'inspiration celte, Manau est principalement célèbre pour son titre La tribu de Dana et leur premier album Panique Celtique a notamment été récompensé par la Victoire de la musique du « meilleur album rap ou groove de l’année » en 1999.

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