21 nov. 2016

'Battles'

 Film Review - Moi, Daniel Blake


Cette semaine on va parler cinéma ! J'avais très envie de partager avec vous de l'un des derniers films que j'ai été voir. Etant particulièrement intéressée par la culture anglaise d'un côté et par les films réalistes racontant l'histoire de personnes authentiques tout en transmettant un message humaniste de l'autre, il était logique que je prenne le temps d'aller voir le film Moi, Daniel Blake. Et je peux vous assurer que je n'ai pas été déçue.


  • Synopsis

Il faut tout d'abord savoir que des décisions du parti des Tories (parti conservateur, opposé au Whigs) ont permis la privatisation et la délocalisation des activités sociales de l’État britannique. Ainsi, les règles sociales imposées par le gouvernement sont mises en application par des salariés privés, gouvernés donc par une politique du chiffre et ayant des objectifs prédéfinis à atteindre. Ce qui, vous l'imaginez, a bouleversé la gestion sociale du pays.


Suite à un arrêt cardiaque, Daniel Blake, veuf, âgé de 59 ans et menuisier de profession, n'est plus apte à travailler. Tout du moins au regard de la médecine du travail, puisque l'administration et le pole-emploi britannique ne sont pas de cet avis  C'est en effet après un questionnaire et une visite chez un "professionnel de santé" mandaté par l'Etat que Daniel est déclaré apte à travailler, dans la mesure où il possède des bras et des jambes qui fonctionnent. Il devient par conséquent, et c'est là que débute l'ironique histoire de Daniel, inapte à recevoir la pension d'invalidité accordée aux personnes invalides. L'unique option qui s'offre à lui pour pouvoir avoir un quelconque revenu est de demander l'allocation chômage ; allocation bien évidemment versée sous condition de recherche d'emploi. Désireux de faire appel de la décision rendue par le professionnel de santé, il fait alors face à un personnel froid clamant un discours robotisé, affronte de nombreux soucis administratifs, apprend à se servir d'un ordinateur à l'heure du tout-numérique et s'enlise dans des démarches illogiques et un combat presque voué à l'échec. Il tente de survivre tout en essayant tant bien que mal de garder sa dignité et croise le chemin de Katie, une femme célibataire mère de deux enfants. Elle a dû quitter sa ville natale pour ne pas être placée dans un foyer, et a atterri avec ses deux enfants dans un appartement médiocre à Newcastle, ville du protagoniste. Ensemble, ils vont se serrer les coudes, s'entraider de façon totalement gratuite et désintéressée et un véritable lien fraternel se tissera entre eux. Tandis que Daniel finit par décrocher un emploi qu'il devra décliner à cause de ses problèmes de santé, Katie cherche par n'importe quel moyen à survivre.


Vous pouvez retrouver la bande-annonce ici

  • Décryptage

    • Portrait d'un homme quelconque
Véritable drame social, ce film présente d'abord le portrait d'un  homme banal, inconnu, gentil mais pas trop, courageux mais pas trop, et surtout fortement décidé à se battre contre une administration hermétique. Il ne rentre dans aucun moule préconçu par le pole-emploi anglais : ni pleinement invalide, ni totalement demandeur d'emploi, Daniel est un de ces oubliés du système, un indigné plein d’empathie qu'on ne peut que défendre et aimer. Il ne veut que la dignité et le respect qu’il mérite et qu’on s’obstine à lui refuser. Il mène par ailleurs un combat vraisemblablement inégal avec d'un côté, un petit menuisier veuf et cinquantenaire de la province anglaise, et de l'autre une puissante administration à demi privatisée, à qui l'on demande de faire la chasse aux "assistés" et de suivre une procédure et un discours bien dictés.


    • Portrait d'une mère courageuse
Ensuite, ce film montre la vie d'une mère célibataire élevant avec ses tripes et sa bravoure deux enfants, pas plus vieux de 10 ans je dirai. Elle a du se séparer de sa famille restée à Londres, pour pouvoir être placée dans un logement social. Elle aussi essaie de joindre les deux bouts, prête à accepter n'importe quel travail et à faire n'importe quel sacrifice pour subvenir aux besoins de ses enfants, quitte à ne plus manger, à vivre dans le noir et le froid et à oublier sa condition de femme. L'une des scènes les plus marquantes restera pour moi celle de la banque alimentaire : une scène particulièrement poignante, déchirante même, et terriblement lourde de vérité. Il ne s'agit pas du portrait d'une mère dépassée qui n'y arrive pas, mais pas non plus de la mère super-héro qui réussi tout malgré les difficultés. Non, il s'agit de Katie, tout simplement : une mère entre les deux descriptions, et c'est ce qui la rend si réelle.




    • Témoin d'une amitié pure

Reflet également d'une très belle et touchante amitié entre les deux protagonistes Daniel et Katie, le film aborde un autre point de vue de la vie courante : l'amitié pure et simple, la solidarité et l'entraide totalement désintéressée. Daniel tend même a avoir une relation paternelle et protectrice avec Katie, qu'il a pris sous son aile autant qu'elle l'a prise sous son aile. Ce lien très fort entre deux personnes rencontrées par hasard nous touche aux larmes tellement il est simple et riduculement... humain. Cette amitié contraste violemment avec l’administration brute et insensible qui ne fait qu’écraser les personnes auxquelles elle se doit de venir en aide. C'est la touche positive du film, la touche douceur, la touche bienveillante.


    • Réalisation
Montage :
Si l'on s'intéresse de plus près au montage, on remarque très vite que les couleurs utilisées sont globalement fades - d'ailleurs il ne fait jamais beau dans le film, le ciel est toujours gris - que la musique n'a pas sa place et surtout que les différentes scènes ou séquences se finissent par un fondu noir. Je ne sais pas trop comment interpréter cela, peut-être comme une invitation à fermer les yeux, se dire que tout ira mieux le jour suivant, ou bien pour retranscrire l'idée d'un souffle, prendre sa respiration et la stopper. Car au fond c'est ça l'histoire, se battre pour sa dignité jusqu'à son dernier souffle.
On notera également que le réalisateur n'a choisi aucun acteur connu pour interpréter les rôles, ce qui marque bien la volonté de raconter l'histoire de personnes oubliées, inconnues, dans l'ombre et souvent effacées de la société.


Réalisateur :
Concernant le réalisateur justement, il s'agit de Ken Loach, un britannique humaniste, politiquement très à gauche, militant et connu pour ces prises de position et ses idées anti-système. A titre d'exemple, on retiendra qu'il fait parti de l'association Boycott, désinvestissement et sanctions contre Israël ou qu'il soutient le Nouveau Parti anticapitaliste. 
En 2006, il reçoit la Palme d'or du Festival de Cannes pour son film Le Vent se lève (The Wind That Shakes the Barley). J'ai eu l'occasion de voir ce film lorsque j'étudiais dans un lycée en Irlande (article ici) en 2012, et j'avoue avoir été bouleversée par ce film historique magnifiquement bien construit. Pour tout ceux qui ne connaissent rien à la guerre d'indépendance irlandaise (1919-1921) et au conflit civil qui a suivit, je vous recommande fortement ce film ! (à voir en VO, avec sous titre obligatoirement, car l'accent et le vieil anglais/irlandais était incompréhensible même pour mes camarades de classe). Son film La Part des anges a par ailleurs reçu le Prix du jury à Cannes en 2012.
C'est 10 ans plus tard qu'il reçoit sa deuxième Palme d'or, en Mai 2016, avec Moi, Daniel Blake, et après avoir vu ce film vous comprendrez pourquoi.



  • Critique
Je vais être rapide car je pense que vous l'avez compris : j'ai totalement adoré ce film. A la fois bouleversant et émouvant mais surtout réaliste et humaniste, ce film est d'une efficacité monstrueuse pour nous émouvoir et nous révolter. C'est simple : j'ai pleuré approximativement une scène sur deux. Il est présenté dans les médias comme dénonciateur, simplement parce-qu'il parle de la vraie faim, de la vraie survie et de la vraie misère. Et c'est d'ailleurs cet aspect là qui m'a vraiment plu dans le film : la réalité est présentée telle qu’elle est, aussi douloureuse et choquante soit elle. Il dénonce parce-qu'il est réaliste, vrai, simple, sans artifice et sans surplus. Il suit la vie de personnes ordinaires qui cherche non pas à vivre, mais tout simplement à survivre dans cette société mêlant frustration, exclusion et humiliation. L'histoire n'est pas surfaite ni surjouée, et c'est ce qui la rend si efficace, directe et dénonciatrice. On remarquerait presque un petit air d’Oliver Twist, avec le portrait d'une Angleterre profonde, laissée de côté et qui cherche à survivre dans une communauté qui l'exclut.

Le seul reproche que je pourrais faire est peut-être sur les caractéristiques trop simplistes des deux univers. C'est un peu facile de faire passer l'administration toute entière comme des méchants d'un côté, et de présenter Dan et Katie comme les gentils que l'Etat cherche à enfoncer. Le fossé entre les deux entités est peut être trop flagrant, trop brutal : c'est soit noir, soit blanc, il n'y a pas de juste milieu. 
Néanmoins, contrairement aux autres films où le bien et le mal sont si facilement distinguables, celui-ci à la particularité de ne pas avoir un happy ending hollywoodien....




"Manière, pour Ken Loach, de nous dire que dans le monde moderne, ce n'est pas Daniel Blake qui est anachronique. C'est la violence sociale." Télérama






J'espère que cette revue vous a intéressé, qu'elle n'était pas trop longue et qu'elle vous a semblé juste. N'hésitez pas à exprimer votre avis sur le film, et à me dire si l'article vous a donné envie - ou non d'ailleurs - d'aller le voir.
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Bye, et n'oubliez pas de sourire xx

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